Loi de Finance 2019 et climat des affaires

Mr Skander Sallemi Centre de Formation et d’Information fiscale (CFIF)

Quelle est la relation entre la Loi de Finance et le climat des affaires ?

Depuis la Révolution du 14 janvier 2011, les Lois de finance ne cessent d’apporter de nouvelles dispositions fiscales. D’ailleurs on compte déjà plus de 700 nouvelles dispositions fiscales jusqu’au mois de Décembre 2017[1].

Ce nombre très important de dispositions fiscales, touchant les entreprises et les particuliers n’a pas été sans effet sur les dites entreprises dont leurs réactions ont été traduites par leurs comportements surtout en matière d’Investissement. Ce comportement présente un reflet de leur perception du Climat des affaires dont les importantes dispositions fiscales ont contribué à sa formation.

Dans ce contexte, le premier baromètre Climat des affaires : élaboré conjointement par CJD-UTICA et l’APII, dont les résultats ont été présentés Mercredi 11 juillet 2018 à l’UTICA montre que 88% des PME tunisiennes actives dans le secteur de l’Industrie parmi un échantillon de 365 entreprises enquêtées, estiment que la nouvelle Loi sur l’Investissement n’a pas changé grand-chose pour l’écosystème entrepreneurial, ni amélioré le climat des affaires en Tunisie ; 54% des entreprises pointent du doigt la fiscalité et jugent que celle-ci freine le développement des PME en Tunisie. D’ailleurs l’économiste en chef à l’OCDE, Alvaro Pereira, interrogé sur le Climat des affaires en Tunisie déclare qu’«ici, les grands défis sont la situation fiscale que tout le monde connaît.»

Ce volume de réglementation dans une période aussi courte a beaucoup de répercussions qui affectent le Climat des affaires ; toujours dans ce contexte Henri OBERDROFF Professeur de Droit public souligne que «L’excès de réglementation a un coût: Il peut conduire à la dévaluation de la règle de droit.

Les Etats où la règlementation prolifère, où le droit change sans cesse et parfois sans cause, où les conditions d’élaboration de la norme juridique se dégradent, sont des Etats où le citoyen n’est plus protégé contre le risque d’arbitraire[2]»

Le souci de la sécurité juridique est de plus en plus évoqué dans un contexte fiscal, surtout à l’occasion des débats sur les Lois de finance : Un débat qui reflète un manque de transparence du processus à l’origine d’un contenu législatif de plus en plus contesté.

Une contestation fondée sur l’aspect imprévisible des Lois de finance qui n’obéissent à aucune orientation annoncée et restée longtemps dominée par des impératifs budgétaires au détriment des intérêts économiques des investisseurs et des prérequis d’un Climat d’affaire propice à l’investissement.

Dans ce contexte nous avons assisté depuis 2011 à une dégradation de la qualité des règles de droit fiscal à l’origine de plusieurs difficultés d’application, voir même des blocages où les droits reconnus aux investisseurs ont été otages de l’incompréhension des nouveaux textes. D’autres investisseurs, et dans le cadre des vérifications fiscales ont été victimes d’interprétations instables de la part des inspecteurs vérificateurs qui œuvrent selon des points de vue personnels et sans aucun encadrement.

Dans cette situation l’Administration fiscale s’est appuyée sur la Doctrine afin de remédier aux insuffisances des textes. Cette doctrine est allée parfois loin de sa vocation explicative en allant vers l’instauration de nouvelles obligations fiscales non prévues par la Loi.

Un exemple très récent : le cas de la note commune numéro 28-2018 du 07 Août 2018, traitant de l’obligation de facturation et apportant une nouvelle obligation déclarative incombant aux personnes utilisant des logiciels de facturation ; Cette obligation de dépôt sur un support magnétique d’une copie du logiciel a cumulé à elle seule trois erreurs majeures :

  • La première consiste à instaurer une obligation illustrant un dépassement de la vocation explicative reconnue aux notes communes, étant donnée que cette obligation n’est pas prévue par la Loi.
  • La deuxième consiste à justifier cette obligation par un recours à l’article 62 du Code de l’Impôt sur le Revenu des Personnes Physiques et de l’Impôt sur les Sociétés traitant de la comptabilité informatisée et qui n’a aucun rapport avec la facturation.
  • La troisième, en prévoyant une démarche qui n’est plus d’actualité étant donnés que les programmes de facturation vendus autres fois sur des supports magnétiques ont laissés leurs places à d’autres procédés incompatibles avec une telle obligation.

Un deuxième exemple est celui de la Note commune N°22-2018 apportant une explication de l’article 44 de la Loi de finance 2018 prévoyant l’élargissement du champ d’application de la TVA aux ventes d’immeubles à usage exclusif d’habitation.

La dite Note part du sous-paragraphe 6 du paragraphe IV de l’article 9 du Code de la Taxe sur la Valeur Ajoutée qui a prévu que les nouveaux assujettis de droit ou par option, bénéficient du droit à déduction du crédit de départ de la TVA, pour dire que «les promoteurs immobiliers agrées ne sont pas considérés des nouveaux assujettis et qu’ils ne peuvent pas bénéficier par conséquent du droit de déduction du crédit de départ».Indépendamment de l’interprétation donnée au paragraphe évoqué de l’article 6 du Code de la TVA ; la dite note a cumulé beaucoup de reproches dont principalement la dérogation du principe de la neutralité de la TVA qui prévoit la consécration du droit de déduction au titre des activités et des produits soumis à la TVA.

La transparence fiscale

En parlant du parcours emprunté par les projets des Lois de finance, l’absence d’une approche participative constitue un constat partagé entre les parties concernées par la thématique fiscale : Un constat qui illustre le manque de transparence entourant les projets des Lois de finance dans la mesure où ils restent entourés d’une grande discrétion jusqu’à leur première apparition dans le Conseil National de la Fiscalité. Ce conseil dont la mission est définie par l’article 4 du Code des droits et des procédures fiscaux qui prévoit qu’ « Il est créé un Conseil National de la Fiscalité chargé de l’évaluation du système fiscal et sa conformité aux objectifs fixés notamment en matière d’équilibre des finances publiques, d’efficience économique et d’équité fiscale. Le Conseil National de la Fiscalité émet son avis sur toutes les questions d’ordre fiscal qui lui sont soumises. »

Le fonctionnement du Conseil est régi par le décret 2001-1250 qui prévoit dans son Article 5 que «Les convocations à la réunion du conseil national de la fiscalité doivent être adressées dix jours, au moins, avant la date de sa tenue accompagnée de l’Ordre du jour.

Les travaux du Conseil national de la fiscalité sont consignés dans des procès-verbaux notifiés à tous les membres participants à ses travaux.»

Nous pouvons déjà constater que le fonctionnement du Conseil ne respecte pas les règles prévues par l’article 5 du dit décret ni en matière de convocation ni en matière de procès-verbaux.

Selon l’article 6 du même décret, La Direction Générale chargée de la législation fiscale assure le Secrétariat du Conseil et établit un rapport annuel sur ses travaux. Un tel rapport n’a jamais été évoqué ni publié et personne ne sait s’il existe ou non.

Une autre caractéristique des projets des Lois de finance, consiste en l’absence d’études d’impact préalables, et d’évaluations des règles adoptées. Ceci renforce le constat d’un manque de transparence quant aux coûts engendrés par les nouvelles dispositions et leurs impacts sur les entreprises et sur l’économie.

  • Atteinte au principe de neutralité de la TVA : droit de déduction au titre des biens et services soumis à la TVA,
  • Traitement discriminatoire : même bien confère un droit de déduction chez certaines entreprises contrairement aux promoteurs immobiliers, (vente de biens immobiliers)
  • Absence d’études d’impact relatives aux nouvelles dispositions de la Loi de finance.
  • Absence d’évaluation : coût de l’application des disposition, impact sociaux économiques…

Insuffisance des Garanties

Les lois de finances ne cessent d’apporter parmi leurs dispositions de nouvelles obligations, de nouvelles prérogatives pour l’Administration fiscales en sus des dispositions relatives aux taux et à l’assiette de l’impôt ainsi que son recouvrement. Dans ces Lois, l’absence d’une amélioration des garanties est très remarquable ; d’où un système fiscal marqué par un déséquilibre entre le Pouvoir de l’Administration fiscale et les garanties des contribuables. Ce déséquilibre est souvent à l’origine d’un sentiment d’insécurité.

La vérification fiscale est une situation ou le contribuable peut réaliser l’absence de garanties suffisantes telles que :

  • Dispositions pouvant les protéger contre l’utilisation abusive des présomptions
  • L’absence de règles pouvant encadrer le choix des méthodes de vérification.
  • Absence de recours permettant d’éviter le traitement préjudiciable due à des erreurs ou à des abus. (Médiateur fiscal non encore opérationnel).
  • L’absence d’un encadrement du choix des méthodes de vérification

[1] – Article webmanagercenter :https://www.webmanagercenter.com/2018/07/11/422177/pas-damelioration-du-climat-des-affaires-en-tunisie-pour-88-des-pme-enquete/

[2] – H. OBERDROFF, Ordre et désordre normatifs dans l’Union européenne. RDP N° 1 2006.

 

Mr Skander Sallemi
Centre de Formation et d’Information fiscale (CFIF)
Membre du Comité Directeur de la CTNCI