Le monde passe par des changements profonds pour ce qui est des divers flux d’échange. Les flux touristiques dans le bassin méditerranéen n’y échappent pas. Pour les pays de départ qui alimentaient traditionnellement le tourisme balnéaire de masse, la tendance à la baisse de la demande régionale consolide au profit d’une intégration micro régionale comme c’est le cas au sein de l’U.E principal partenaire. La priorisation des bassins Portugal, Espagne, Italie, France, Grèce, est aujourd’hui une réalité.
Pour le continent africain, le taux d’intégration régionale (Afrique du Nord – Bassin du Nil – A. Occidentale – A. Centrale – A. du Sud) reste très bas mais accuse une timide progression.
La tendance en cours se traduit pour ce qui est de la Tunisie par l’intérêt croissant que portent les bailleurs de fonds étrangers pendant les deux dernières années à la stratégie mise en place par l’État. Cet intérêt traduit une attente prometteuse de super profits en compensation des fonds mobilisés dans le cadre des régimes d’investissements en capital risques et en joint-ventures financières et technologiques. Deux grands programmes d’appui se sont installés en Tunisie
– Le fonds américain USAID pour le programme «Visit Tunisia» qui concerne surtout la promotion des infrastructures d’hébergement alternatif (maisons d’hôte, gîtes ruraux, hôtels de charme, pensions de familles, etc.).
– Les fonds UE-GIZ-Suisse Contact-JICA, pour les programmes «Tounes Wejhetouna», lancé en 2019, et ses déclinaisons Grow together et DMO, qui s’intéressent surtout à la promotion de produits alternatifs et éco touristiques sous forme de circuits- «routes à thèmes» (design et artisanat, patrimoine archéologique, patrimoine culinaire et gastronomie, routes culturelles et thématiques, etc.).
Ces programmes qui ont validé la charte et le cahier des charges élaborés par le gouvernement tunisien visent comme indiqué des gains substantiels attendus par le développement d’une filière d’avenir porteuse.
Cependant, le point faible de cette stratégie est qu’on est resté dans les demi-solutions. On a intégré le concept sans avoir toutefois cherché à l’optimiser. La grosse part des profits à créer sera captée par les fonds étrangers et ne profitera aux régions qu’en termes d’infrastructure, d’équipements et d’emploi, alors qu’il s’agit de recapitaliser pour refinancer une dynamique interne par la rétention des plus-values dégagées et leur mise en circulation à l’échelle locale et régionale.
En effet, le tourisme régional alternatif doit être solidaire des régions et ne peut se concevoir que dans un environnement de plans de développement régional et non seulement en termes de croissance sectorielle, et ce, en s’appuyant sur une logique méthodologique qui tient compte de l’articulation de trois facteurs les sous-jacents, la valorisation et le financement inclusif ou mutualiste.
Les sous-jacents sont les ressources locales et régionales mobilisées pour constituer l’offre touristique alternative. Les programmes conçus ont identifié la plupart de ces ressources et ont élaboré un concept retentissant, innovant et symbolique qui s’appuie sur les circuits à thèmes « Routes ». Ce concept a l’avantage de véhiculer la chaine de valeurs diversité culturelle, authenticité et durabilité.
L’impact sur le développement régional a été également considéré comme vecteur de développement régional par le développement de secteurs jusque là marginalisés et l’initiative entrepreneuria le génératrice d’emplois grâce au développement d’un tissu sociétaire de PME locales (bureaux d’études, structures de digitalisation, musées locaux, centres de gestion, villages et ateliers artisanaux, etc.). Pour une efficience optimale et dans l’esprit de la décentralisation prévue par la constitution, l’outil d’exécution de ce programme doit être décentralisé par la mise en place de réseaux et d’agences de valorisation des ressources régionales et locales.et d’institutions d’orchestration des synergies sectorielles. Cette structuration dynamique favorisera la création d’opportunités spatiales et fonctionnelles sur le plan régional (infrastructures logistique, mobilité, accueil, événementiel, protocoles sécuritaires et évacuations d’urgence, etc.).
Ce processus aboutira progressivement à une bipolarisation du secteur touristique et culturel en s’articulant autour de l’existant et évoluera à terme vers un secteur touristique et culturel pluri-polaire assurant l’équité régionale et la pérennité de l’offre tout le long de l’année.
Reste la question de financement. La stratégie adoptée s’appuie dans ce domaine sur deux axes.
– Les partenariats public-privé qui ont cerné d’une façon cohérente les protocoles de sécurisation et de gestion des ressources notamment celles patrimoniales par l’élaboration de cahiers de charges et de règles de mise en concessions.
– Les programmes d’appui financier à travers les bailleurs de fonds étrangers et nationaux sous diverses formes.
Or la question du développement régional reste totalement absente. La stratégie s’est faite dans l’esprit de la croissance sectorielle sans mener une réflexion profonde sur les sources de financement et leurs out-puts. Il est nécessaire de doter ces programme d’une vision régionale qui s’appuie sur la création de structures régionales/locales de micro finances sous forme mutuelle pour financer les petits projets et capter les plus-values en vue de les recapitaliser localement. Le programme «Grouthtogether» aurait été plus pertinent si on lui a donné un sens inclusif et «national» en mobilisant l’épargne populaire. Sans cette introduction de la notion de spatialité de la plus-value et des richesses crées, ce programme ne profitera nullement aux régions, mais aux bailleurs de fonds étrangers soucieux de leurs deniers et profits. Pour ce, il faut commencer par balayer les réflexes de recherche de bailleurs de fonds à l’étranger, s’imprégner de la culture d’entreprendre petit et grandir et faire face aux divers obstacles d’ordre bureaucratique, juridique, institutionnel et lobbyiste.
Dr Ridha Shili
Membre d’Honneur de notre Chambre