Rôle de l’Acheteur à l’Aube de la 4ème Révolution Industrielle et des Enjeux Africains.

Introduction : L’information est le pouvoir.

Dans un espace où les données sont manquantes, ou bien trop abondantes, filtrer le bruit pour trouver la bonne information, le chemin critique, devient un avantage déterminant.

Les Achats et la Supply Chain de part leur position centrale dans l’entreprise, sont au coeur des flux d’informations, qu’ils soient physiques ou immatériels. C’est la fonction stratégique par excellence.

Le Monde est flux : L’organisation des flux d’information, des échanges de biens et de services, tient d’une mécanique, ou plutôt d’un écosystème, associant production et consommation.

Les règles de ces échanges sont régies par les équations simples suivantes :

1. Equation grosse maille de la production (EP):

Ressources Naturelles(1) + Ressources Humaines(2) + Energie(3) + Transformateur(4) + Flux Financiers (5) = Produits(6) + Valeur Ajoutée(7)

Dans ce monde, cette équation a tenu pendant des siècles, faisant le bonheur des uns (propriétaires des capacités productives et de l’ingénierie de la production), et le bonheur plus relatif des autres (propriétaires natifs des ressources naturelles ne sachant pas les exploiter/transformer pour leur propre compte).

Dans le process de création de richesses, le point (7) est un multiple du point (5).

L’avantage comparatif a toujours été celui du Savoir: «Savoir Concevoir», «Savoir Fabriquer» & «Savoir Vendre»

La stratégie de l’entrepreneur dans le commerce et la production, du moins pour l’Acheteur, est d’agir selon le principe «Make or Buy» : Faire ou Faire faire, et voir en coût total par une décomposition totale de la Supply Chain et des flux de production où est la productivité, où sont les gains ?

Ce principe stratégique extrêmement important, a permis à plusieurs pays ne disposant ni des ressources minières, ni des ressources humaines, d’élaborer néanmoins une économie puissante bâtie sur une industrie de transformation (4) à très haute valeur ajoutée.

L’équation (EP) devenant ainsi très facile à résoudre en important tout simplement les termes manquants, où en créant des infrastructures et un environnement tels que les meilleures ressources du monde entier viendront naturellement s’installer chez eux, tout en gardant jalousement le savoirfaire de la valeur ajoutée.

2. Equation grosse maille des Cost-Model de Production (ECM) :

Prix de Vente = Coût des Matières Premières (MP) + Coût de la Main d’Oeuvre Assemblage (MOA) + Coût de la Main d’Oeuvre Ingénierie (MOI) + Coût de l’Energie (E) + Coût de la Qualité (Q) + Amortissements (A) + Coût Frais Généraux/Structure (FGS) + Coût Livraisons (Incoterm) + Bénéfice (B)

  • Cette équation est dynamique et variable en fonction du temps.
  • Un process industriel maitrisé, voire même une augmentation du taux horaire de MO réduira Q,
  • Un matériel de production amorti fera tendre A vers zéro
  • Une Supply Chain Maitrisée fera choisir le meilleur incoterm
  • Un contrat à terme réduira le risque de volatilité de MP

3. Role de l’Acheteur : de «Cost-Killer» à « Risk-Killer »

Dans la palette des responsabilités de l’Acheteur, autrefois cantonné dans une position de «Cost- Killer» , apparaît une couleur s’affirmant de plus en plus : celle du «Risk-Killer» (et bientôt celle du «Soft-Skiller»), sur toute la Supply Chain et la Production de l’entreprise, et sur les courtmoyen et long-terme, confirmant ainsi de plus en plus celui-ci dans un rôle stratégique.

Il garde néanmoins l’objectif de minimiser la structure des coûts de production, directs et cachés (TCO Total Cost Of Ownership), ce qui mécaniquement augmente la taille du Bénéfice.

La sous-traitance de production, suivant la doctrine Nord/Sud, est apparue après la deuxième guerre mondiale, pendant les 30 glorieuses, après les vagues de décolonisation de la fin des années 50 aux années 70, et connut son apogée avec la création d’une économie de libre échange après l’accord Reagan-Thatcher.

Ici, le «cost-killer» eut pour rôle de chercher le moins-disant de chacun des termes de l’équation, sauf pour le savoir et l’ingénierie qui devaient rester propriété de l’entreprise/de l’Etat.

Rapidement, un certain nombre d’activités à moyenne et basse VA, dont un des gros poste de dépense fut le coût de la Main d’Oeuvre, pu être sous-traité dans le Sud.

Sur 100 % du Chiffre d’Affaire, faire une réduction de 80 % sur un bien ou service dont le costmodel indique 20 % de MO, augmente mécaniquement le Bénéfice de 16 % du Chiffre d’Affaire, voilà l’équation.

Des fortunes furent faites en peu de temps, désindustrialisant massivement le Nord d’un coté mais lui apportant des ressources financières colossales, et un Sud sortant de colonisation en quête de modèle économique, se traduisant par un appareil productif industriel de sous-traitance dépendant à plus de 80 % de son donneur d’ordre extérieur, jusqu’à aujourd’hui dans une grande majorité, sauf pour quelques pays ayant fait le virage technique et industriel.

Poursuivant ainsi l’Asymétrie des Echanges, une «ligne Nord/Sud» infranchissable théorisée par Sir Oliver Franks (Lloyds Bank) et Willy Brandt (Rapport «Ligne Brandt» remis en 1980 à Mac Namara, Président de la Banque Mondiale).

L’exécuteur de la stratégie de sous-traitance de production, de délocalisation de Main-d’Oeuvre et d’Outil de Production, étant l’Acheteur.

4. 4ème Révolution Industrielle, Economie du Savoir, Objectifs du Développement Durable et changement de paradigme.

La 4ème Révolution Industrielle, celle de la convergence exponentielle des NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Intelligence Artificielle et Sciences Cognitives), couplée à celle de l’Economie du Savoir, du décloisonnement de l’Information, crée un bouleversement mondial multidimensionnel dans le Business et dans la Société.

Cette Révolution apparaît à un moment de l’Histoire, où le consommateur du «Nord» se responsabilise et souhaite savoir comment et par qui est produit le bien/service dont il a l’usage, et où le producteur/sous-traitant du «Sud» souhaite avoir un niveau de vie digne lui permettant de vivre aussi confortablement que son vis-à-vis du «Nord».

Elle apparaît également où Business et Réalisation des 17 Objectifs du Développement Durable (Proposés par Ban Ki Moon pour 2015 à 2030) convergent : Un véritable bouillonnement intellectuel, techno-scientifique et philosophique apparaît dans tous les pôles industriels , financiers et technologiques de la planète : Suisse, USA, Europe, Chine, Japon, Corée du Sud, Russie,…

Le moins-disant économique laisse place à une approche plus solide et durable : le mieux-disant économique, celui qui en Cout Total est le plus performant et le moins cher sur le long terme.

La CSR/RSE (Corporate Social Responsibility / Responsabilité Sociale de l’Entreprise) n’est plus seulement une position marketing : elle devient une réalité industrielle, économique, avec des implications sociales et organisationnelles extrêmement importantes dans toute la Supply Chain associée au cycle de vie du produit.

Le World Business Council for Sustainable Development (WBCSD) par exemple, présidé par Paul Polman, PDG d’Unilever, est un des organes qui repense les nouveaux modèles économiques avec les valeurs des 17 SDGs.

Cette nouvelle économie, passant d’une centralisation à une décentralisation, s’orientant manifestement vers un modèle distribué/partagé (voir schéma des réseaux de Paul Baran) avec une supply chain plus courte et une production de proximité, où acheteurs et fournisseurs sont interactifs et interchangeables dans leurs rôles, rompt également avec la théorie farfelue de la croissance infinie dans un monde fini aux ressources finies..

La proposition de valeur économique du Business change : l’économie doit avoir du sens et doit être plus juste, plus inclusive, plus compatible avec les écosystèmes de la planète, plus durable.

5. Changement irréversible du Modèle de Production Industriel

Cinq technologies majeures issues de la 4ème Révolution Industrielle changent le paradigme de la production de biens et de services : la Fabrication Additive (Impression 3D), l’Intelligence Artificielle associée à Big Data, la Blockchain, l’Apprentissage Profond et les Réseaux de Neurones, la Cobotique,

La Fabrication Additive supprime toute forme de contrainte géométrique et produit sans gaspillage de matière première : autrement dit, à poids égal de MP, le coût de production est le même !

Il n’y a plus besoin de faire de la production de masse pour faire des économies d’échelle.

De même, cette technologie rationalise drastiquement plusieurs procédés industriels coûteux et

longs à amortir.

La Valeur Ajoutée est plus dans le logiciel de conception que dans la Matière Première.

De plus l’impression 3D se fait aujourd’hui avec du plastique/polymères, des matières organiques,

minérales, métalliques.

L’IA associée à Big Data, permet de lier un nombre inimaginable de variables et de trouver des

corrélations en un temps minime qu’aucun humain ne pourra jamais atteindre. Détection de signaux

faibles permettant de faire du préventif.

La Blockchain permet de produire et tracer une information/contrat de façon impossible à

falsifier : c’est une arme de désintermédiation massive . L’information se suffit à elle-même sans

tiers de confiance.

– L’Apprentissage Profond (Deep Learning) et les Réseaux de Neurones : cette discipline a pour objectif de créer des réseaux de neurone de plus en plus complexes, capables d’apprendre et d’exécuter des taches en toute autonomie, avec un pouvoir de décision accru.

– La Cobotique, contraction de Collaborateur et Robotique, est une discipline en pleine expansion, permettant de créer des robots, drones, capables d’assembler, de se déplacer, de faire des taches que l’humain aura programmé, autant que des taches non répétitives nées de l’apprentissage profond.

Ces technologies auront et ont déjà des implications sociales sans précédent sur l’organisation du travail humain : 500 millions de personnes sont susceptibles de perdre leur emploi d’ici 2035, remplacés par des Robots, de l’Intelligence Artificielle, et des logiciels d’apprentissage profond (Voir Rapport Obama « Advanced Manufacturing »Juin 2011 / « La 4ème Révolution Industrielle » de Klaus Schwab/WEF publié en 2015 ).

Si un nouveau contrat social n’est pas rapidement trouvé, ou du moins aussi rapidement que la vitesse de disparition des emplois, la tension économique sera insupportable pour certaines populations ou modèles économiques comme ceux de la sous-traitance à basse valeur ajoutée, prisonniers d’un appareil productif dépassé.

Ce qui en retour pourra avoir des conséquences sécuritaires sur les pays à niveau de vie supérieur.

6. Et l’Afrique dans tout cela ?

En 2050, l’Humanité comptera autour des 10 Milliards de personnes, dont 1/4 d’africains (2,5

Milliards).

En pyramide des ages, ce sera la population la plus jeune du Monde.

L’Afrique, par ses ressources naturelles abondantes, par sa jeunesse et par toutes les infrastructures à construire, est l’Eldorado du XXIème Siècle : elle sera le 1er Marché du Monde.

Une simple observation des principaux acteurs économiques du Continent et de leur comportement

commercial et diplomatique nous prouve sans aucun doute possible que toutes les puissances de la

planète souhaitent en être les partenaires, et pour longtemps.

Et les approches de tous les pays du G20 ne sont pas les mêmes, notamment celle des BRICS : l’Afrique n’oublie pas la Conférence de Bandung, même plus de 60 ans après…

Si nous prenons les deux équations de la Production et des Cost-Model, et que nous les mettions en perspective de la future démographie africaine, de ses besoins, des outils de la 4ème Révolution Industrielle, de l’accessibilité illimitée au Savoir gratuitement, une vraie réflexion sur la proposition de valeur socio-économique et industrielle se pose :

– Quelle est la proposition de valeur de celles et ceux qui souhaitent être des partenaires de

l’Afrique ?

Répondre à cette question, c’est répondre à la réalisation d’une paix globale et durable bâtie sur une prospérité équitablement partagée.

Tunis, le 29 Juillet 2018

Mr Mohamed BALGHOUTHI
Membre d’Honneur de notre Chambre