Près de quatre décennies après la libéralisation de l’Economie, les disparités socioéconomiques régionales se sont fortement accentuées donnant lieu à des écarts flagrants entre le Littoral et les Régions intérieures du pays.
Ces inégalités ont été le berceau des grandes révélations de la Révolution de 2011 (Indice de GINI s’élève à 35,81 en 2010). En effet, le soulèvement populaire qui a abouti à la chute du Régime de Ben Ali a été déclenché par des villes intérieures défavorisées (celles de Sud-Ouest, la Région minière de Gafsa entre 2008 et 2010, et celles du Centre-Ouest, du Gouvernorat de Sidi Bouzid et Kasserine décembre 2010-janvier 2011) présentant le niveau de développement le plus faible à l’échelle nationale (le Gouvernorat de Kasserine occupe le 24ème et dernier rang, Sidi Bouzid le 23ème, Siliana le 22ème, Kairouan le 21ème, Jendouba le 20ème et le Kef le 19ème).
Le seuil de pauvreté est l’indicateur principal de la situation socioéconomique des agglomérations. Selon l’Institut National de la Statistique (INS), le taux de pauvreté varie, en 2015, entre les régions côtières et les villes intérieures. Ainsi, il est à 34,9% à Kairouan, 34,2% à El Kef, 32,8% à Kasserine et 32% à Béja contrairement au grand Tunis, Nabeul, Monastir et Sfax où il atteint respectivement 5,3%, 7,4%, 8,3% et 5,8% (Source : INS, Bulletin de consommation n°1, décembre 2016).
Jusqu’à présent, et sept ans après la Révolution de 2011, la Tunisie se trouve confrontée au même problème de déséquilibre régional qui est de plus en plus alarmant. Le creusement des disparités spatiales, la crise latente au niveau rural, du chômage et des inégalités socioéconomiques ont montré que les efforts qui étaient alloués pour réduire ces inégalités sont minces et font penser à une contradiction avec les intentions d’apporter une quelconque solution perspicace. Pire encore les efforts déployés sont loin d’être conçus pour instaurer les valeurs de l’équité, de cohésion, d’efficacité et de pérennité qui sont en fait les attentes surtout des communautés marginalisées et du peuple en général.
L’observation des indicateurs de développement par région montre bien qu’il est frappant de constater que la majorité de la population des régions intérieures vit dans des situations de précarité et d’indigence incontestable, c’est ainsi que plus de 1/5 de leur population est en chômage (27,1% à Tataouine, 26,3% à Gafsa, 25,5% à Jendouba et 22,3% à Kasserine, (Source : INS, Recensement Général de la population et de l’Habitat, 2014, Volume 9, « Caractéristiques économiques de la population, décembre 2017).
Les disparités économiques et sociales se sont ainsi transformées en termes de disparités géographiques donnant lieu à l’apparition d’une structure duale dans le pays se caractérisant par un centre développé et une périphérie baignant dans la précarité.
Le déséquilibre régional est bien évidemment le fruit des politiques de développement non intégrées basée sur la concentration des investissements dans les régions côtières, c’est alors que les zones industrielles sont répartîtes sur une superficie de 5000 hectares dont, seulement, 20% dans les zones intérieures sur 1000 hectares pour 4000 hectares dans les zones du littoral (Propos du Ministre de l’industrie Zakaria HAMAD 2016). Cette répartition géographique inégalitaire du nombre d’entreprises
a donné lieu à un déséquilibre régional beaucoup plus important au niveau de l’emploi, de la production, de la valeur ajoutée et de l’investissement public mais surtout privé.
Si on met l’œil sur le développement régional des Régions du Nord-Ouest par exemple, on remarque que leur situation se caractérise par un paradoxe incontestable : elles présentent des terres agricoles riches et biodiversifiées et en contrepartie ce sont parmi les régions les plus pauvres du pays. Elles présentent des problèmes socioéconomiques majeurs, une dynamique industrielle très faible, un tissu industriel qui manque de diversité, une attractivité insuffisante pour les investissements étrangers, un taux de chômage des jeunes élevé qui est de l’ordre de 43 % (ONEQ 2015).
Les Régions développées disposent de larges marchés d’emploi qualifiés dans lesquels s’ajustent mieux les offres et les demandes en tirant profit des économies d’échelle dans les dépenses d’infrastructures pour se doter d’un équipement à moindre coût donnant un exode des zones les plus pauvres et les moins développées vers les zones les plus riches, d’où l’apparition du phénomène de paupérisation privant les régions pauvres de leur mains d’œuvres et de leur travail qualifiés donnant ainsi lieu à une fragmentation spatiale et à une ségrégation économique et sociale. C’est ainsi que les Régions développées constituent des incubateurs d’activité offrant aux investisseurs toutes les commodités dont elles ont besoin, en termes de services ce qui leur permet d’attirer de nombreux types d’industries et de capitaux.
Bien que la Tunisie a adopté plusieurs politiques et stratégies de développement en vue de réduire les disparités régionales, un déficit de cohérence et notamment de vision globale structurante entre les différentes régions du pays est patent.
La réponse des pouvoirs publics à travers les programmes mis en œuvre n’a pas abouti à une égalité régionale, les disparités demeurent toujours manifestement importantes et flagrantes, ce qui ne correspond pas à un résultat hasardeux puisqu’il a toujours été tant qu’il était souvent prononcé en Tunisie et ce, depuis l’indépendance. Il s’agit en fait d’un héritage de mauvaises orientations et de choix erronés en matière de développement, notamment celui régional.
Pour promouvoir un développement régional inclusif, durable, équitable et égalitaire, il est impératif d’instaurer un nouveau cadre conceptuel de développement régional ; de consacrer la bonne gouvernance régionale ; d’élaborer une stratégie économique inclusive prenant en compte les caractéristiques et les spécificités de chaque région ; de travailler sur la rupture de l’isolement des régions démunies à travers l’amélioration de leur climat d’affaires surtout leur infrastructure, l’adoption de réseau de communication et l’intégration de leurs économies dans les activités structurées à travers la dynamisation des échanges frontaliers ; de tenir compte de la part de ces régions dans la production nationale et non pas dans les recettes fiscales ; d’inciter le partenariat public/privé (PPP) dans ces régions ; de garantir le droit de tout citoyen où qu’il réside à des prestations éducationnelles , sanitaires, culturelles et d’encadrement institutionnel de qualité.
Bref ! appliquer dans le vrai sens du terme une démocratie participative et une politique économique locale inclusive.
Mr Mohamed Ali KHILI
Membre d’Honneur de notre Chambre