Il y a des informations d’importance majeure qui n’occupent pas toute la place qu’elles méritent. Des communiqués, des articles analytiques mais au niveau des instances décisionnelles c’est, pour le moins, silence radio. A leur décharge des évènements d’ordre politico sanitaire sont venus remplir leurs lots quotidiens de préoccupations.
Il en est ainsi, en parlant d’information quelque peu marginalisée, de la Zone de Libre-Echange Continentale Africaine (Zleca), officiellement lancée en juillet 2009 à Niamey, au Niger, avec pour objectif un démarrage du marché à partir du 1er juillet 2020. Cet accord a été signé par la totalité des pays d’Afrique, exception faite de l’Érythrée.
Leur ambition : éliminer les droits de douane sur environ 90 % des biens échangés, réduire les barrières non tarifaires et libéraliser les services entre eux.
Le Secrétariat de la Zleca a son siège à Accra, au Ghana.
Le Gouvernement tunisien avait, pour sa part, signé la Convention relative à l’adhésion de la Tunisie, à la Zone de libre-échange continentale africaine ZLECA le 21 Mars 2018 à Kigali (Rwanda). elle n’a été ratifiée que tout récemment. L’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) a, en effet, adopté en plénière, le 22 juillet 2020, par 152 voix pour, sans aucune abstention ni voix contre, le projet de loi organique, relatif à l’approbation d’une Convention instituant une Zone de Libre-Echange Continentale en Afrique (ZLECA) et ce après l’avoir rejetée, dans un premier temps, (le 5 mars 2020), faute de majorité requise de 109 voix.
Ainsi, par cette Convention, la Tunisie va se voir ouvrir les portes de 54 marchés à ses produits et à ses exportations.
L’on est toutefois en droit de se poser la question suivante; «En quoi l’existence d’une ZLECA peut-elle offrir des opportunités commerciales à même de changer le visage de l’industrialisation en Afrique, conformément à la vision de l’Agenda 2063, «l’Afrique que nous voulons ?»
Il est de fait que la ZLECA va couvrir un marché de 1,2 milliard de personnes, représentant un produit intérieur brut (PIB) de 2 500 milliards de dollars dans l’ensemble des 55 États membres de l’Union Africaine. Du point de vue du nombre de pays participants, elle sera la plus grande zone de libre-échange du monde depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
La ZLECA est également un marché particulièrement dynamique. Selon les projections, l’Afrique comptera 2,5 milliards de personnes à l’horizon 2050, soit 26% de la population mondiale en âge de travailler, et verra son économie croître deux fois plus rapidement que celle des pays développés.
Cependant les entreprises sont actuellement confrontées à des droits de douane plus élevés lorsqu’elles exportent en Afrique plutôt qu’en dehors du continent. La ZLECA éliminera progressivement les droits de douane sur le commerce intra-africain, ce qui permettra aux entreprises continentales de négocier plus facilement leurs ventes au sein de leur continent, de répondre aux demandes du marché africain en pleine croissance et de profiter, ainsi, des avantages offerts par ce dernier.
La Commission Economique pour l’Afrique (CEA) estime que la ZLECA pourrait accroître le commerce intra-africain de 52,3 % d’ici 2022 en éliminant les droits de douane à l’importation, et de le doubler si les obstacles non tarifaires sont également réduits. (Source: Nations unies CEA)
De son côté, dans un rapport récent, le FMI a calculé que l’élimination des droits de douane sur 90 % des flux existants (selon l’objectif le plus ambitieux) entraînerait une augmentation d’environ 16 milliards de dollars du commerce régional.
Actuellement, le commerce interrégional africain ne représente que 16 % du total des exportations, contre 58 % et 67 % respectivement pour l’Asie et l’Europe.
Parmi les secteurs à même de bénéficier de la nouvelle zone de libre-échange, figurent les industries pharmaceutiques, agroalimentaires, les matériaux de construction, ainsi que le secteur des services, notamment dans les domaines de l’ingénierie, des nouvelles technologies et des services médicaux.
Plusieurs instruments opérationnels ont été discutés, comme les règles d’origine qui régissent les conditions dans lesquelles un produit ou un service peut être échangé hors taxes dans toute la région, mais aussi les concessions tarifaires : un portail d’informations sera mis en ligne pour informer, en temps réel sur les tarifs applicables, normes etc.
Selon le Centre du Commerce International, ITC, l’Agence conjointe de l’Organisation Mondiale du Commerce et des Nations Unies, plus de 40 % des entreprises africaines identifient le manque d’accès à l’information comme un facteur affectant l’environnement des affaires à travers le continent. La Zleca entend multiplier les points d’information en mettant en place un observatoire du commerce dédié.
Du point de vue du secteur privé, la priorité numéro un est d’augmenter les investissements et la production pour approvisionner le grand marché de 1,27 milliard de personnes avec une classe moyenne en croissance. Cela peut nécessiter la conclusion de partenariats ou de coentreprises. Des pistes que des entreprises tunisiennes et néerlandaises pourraient explorer en partenariat dans certaines des activités citées plus haut.
Car cet accord va inéluctablement attirer plus d’investissements étrangers en facilitant la création de chaînes d’approvisionnement régionales, qui ont été des moteurs importants de développement dans d’autres régions du monde.
Toutefois des défis subsistent.
«Tous ces efforts resteraient incomplets en l’absence d’une vulgarisation sur l’état d’avancement des négociations, essentiellement dans le milieu des affaires, et d’une implication collective aussi bien dans le déroulement qu’autour du contenu et des objectifs de ce projet», a déclaré Omar El Béhi, ministre du Commerce, qui n’a pas manqué de rappeler que les travaux techniques sont toujours en cours, notamment pour fixer les cadres réglementaires et légaux de la Zleca (coopération réglementaire sur les règles d’origine, listes d’engagements spécifiques, etc).
En effet pour beaucoup, il reste que l’intégration africaine doit passer par un développement endogène des économies du continent. Outre les barrières douanières et celles liées aux normes, les entreprises opérant sur le continent sont confrontées, au quotidien, aux barrières liées aux infrastructures. Par ailleurs plusieurs de pays, particulièrement parmi les moins nantis, dépendent des importations en terme de recettes douanières ce qui fait qu’ils sont réticents, quant à leur totale suppression occasionnant par là des pertes énormes en matière de recettes fiscales.
Autre contradiction : la volonté affichée de création d’une zone de libre-échange et en même temps l’application par certaines économies du continent de barrières tarifaires ou carrément de fermeture des frontières pour d’autres. Avec la ZLECA, de nombreux acteurs redoutent que le marché continental, soit inondé de produits non africains bénéficiant des mêmes avantages que ceux« Made in Africa ».
Ainsi selon l’agroéconomiste Jacques Berthelot, « loin de favoriser l’intégration régionale du continent [la ZLECA] ne pourra que le désintégrer fortement en ouvrant largement les portes aux firmes multinationales qui sont déjà largement présentes dans la plupart des pays et qui concentreront leurs activités dans ceux qui sont les plus compétitifs en exportant vers les autres»
Partant de ce point de vue Il est nécessaire de souligner que tous les efforts demandent une coopération et une assistance mutuelle de la part des autres pays africains pour assurer que les gains de la ZLECA, en terme de promotion du commerce intra-africain et de production, restent sur le continent.
Ceci étant la ZLECA constitue un jalon important dans l’agenda du développement pour l’Afrique. Grâce à la baisse ou à la suppression des barrières tarifaires et non tarifaires, elle contribuera à résoudre le problème de fragmentation des économies africaines. Elle devrait aussi accroître l’efficacité et la compétitivité des économies. Ceci participera, à terme, à une hausse des flux de marchandises à l’intérieur du continent, au renforcement de la création de valeur ajoutée et à la promotion de l’industrialisation.
Enfin, autre défi, la pandémie provoquée par le Corona virus risque de freiner l’euphorie avec la crainte qu’elle ne conduise certains pays à adopter des politiques protectionnistes.
La mise en œuvre de la ZLECA qui était initialement prévue pour juillet 2020 a été décalée à début 2021 en raison de la pandémie. Les prochains mois serviront, néanmoins, à finaliser les protocoles et les négociations sur les tarifs commerciaux.
Il demeure cependant, et pour reprendre la Banque mondiale, que «bailleurs de fonds, investisseurs, opérateurs et autres institutionnels gagneraient tous à s’accorder pour dire que l’heure de l’Afrique c’est maintenant. Il n’est pas indispensable d’attendre que toutes les conditions économiques soient parfaites. Il importe de saisir le moment pour entamer des réalisations immédiates qui peuvent rapidement transformer les économies et améliorer le sort des populations». (Publication Banque Mondiale le 20 janvier 2020)
Mounir Zalila
Membre d’Honneur de notre Chambre